Aucun accord n’est exempt de perplexité. Il ne l’est pas, à plus forte raison, quand ses clauses demeurent secrètes… On peut toujours élaborer de subtiles conjectures, mais le mieux est de confronter les espoirs affichés a priori aux faits survenus après sa signature. Le texte équilibré mais documenté qui suit, est dû au Père Peter – nous n’avons pas besoin d’en savoir plus sur son identité… –, prêtre catholique en Chine populaire. Il résume les dix points saillants qui ont marqué l’Église catholique en Chine en 2018.
Pour le catholicisme en Chine, 2018 fut probablement une année exceptionnelle. Bien que l’espoir ait grandi chez certains, la tristesse l’a emporté chez beaucoup d’autres. Le Saint-Siège y a apparemment vu un considérable progrès au plan politique mais, pour les catholiques qui vivent en Chine il n’y a eu aucune ouverture réelle pour ce qui est de la pratique de leur foi. Pour le catholicisme en Chine, le chemin à parcourir est encore long.
1. Démolition de croix et campagnes de répression religieuse dans toute la Chine.
C’est un fait connu que la diffusion du catholicisme en Chine a toujours rencontré des difficultés et de l’hostilité, mais en une époque de mondialisation entendre parler de persécution contre l’Église catholique et de destruction de croix est vraiment attristant. La Croix est le symbole par excellence de la foi catholique et donc, pour les fidèles, l’enlèvement d’une croix est une douloureuse gifle en pleine figure. Face à cela que peuvent faire d’autres les chrétiens que de prier en silence?
2. Bibles interdites de vente sur les sites marchands en Chine.
La Bible n’est pas seulement le pilier de la foi catholique, elle le livre le plus vendu au monde. Dans le passé, il était possible d’acheter sans encombre une Bible sur Internet mais désormais c’est une chose totalement interdite, ce qui en étonne beaucoup. La culture religieuse est un des principaux facteurs du développement humain. Au lieu d’être respectée et promue, elle est interdite. C’est déconcertant. Comment expliquer une telle décision autrement que d’y voir une tentative de bloquer le développement de la nation chinoise?
3. «Aimez le pays, aimez le parti» s’infiltre dans l’Église. L’Armée rouge des évêques se réunit à Jing Gang Shan 1 pour se former.
Quand Jésus enseignait le monde, il eut cette formule célèbre: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.» Le but de la religion est d’élever spirituellement et d’élever l’âme. Le clergé catholique doit connaître sa propre identité et sa propre mission. Toutefois, des évêques et des prêtres “rouges”, afin de manifester leur foi patriotique, ont été heureux de revêtir des uniformes de l’Armée rouge à Jing Gang Shan, ce qui a été un motif de confusion chez bien des gens. Derrière ces évêques se tenaient des moines portant leur habit religieux, ce qui a plutôt réveillé un sentiment d’attachement à la religion dans le peuple.
4. Le cardinal Joseph Zen Ze-kiun a rencontré le pape pour aborder la question du droit de nomination des évêques.
L’élection du pape François et la nomination du cardinal Parolin comme secrétaire d’État ont été déterminantes pour la signature d’un accord officiel entre l’Église catholique et le gouvernement chinois, ce qui a suscité l’espoir que l’Église en Chine allait pouvoir vivre paisiblement et se développer. Ce but est de toute évidence bon, mais, sur le long terme, qu’est-ce que cet accord changera relativement au respect du principe du choix unilatéral des évêques par l’Église catholique? L’évêque émérite du diocèse de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen (photo page suivante), a formulé de vives inquiétudes, craignant que la signature d’un accord Chine-Vatican réduise ou supprime le pouvoir du pape de nommer ces évêques en Chine. Malgré son grand âge, il s’est rendu à Rome pour exprimer ses préoccupations. Une telle démarche est digne d’admiration et de louange.
5. Le Vatican signe un accord provisoire sur la nomination des évêques.
Le 22 septembre 2018, le gouvernement chinois et le Saint-Siège ont signé un accord provisoire sur la question des nominations épiscopales. Le pape a reconnu comme légitimes les évêques chinois nommés et ordonnés par le gouvernement chinois, et a ordonné à l’évêque Zhuang Jian Jian de Shantou de démissionner2. À sa place, il a nommé Guo Xijin évêque auxiliaire du diocèse de Mindong 3. Le contenu spécifique de l’accord est toujours tenu secret, mais, selon les apparences, la Chine aura l’initiative du choix des candidats possibles à l’épiscopat, et sera le Saint-Siège qui en approuvera un. Si le pape rejette tous les candidats qui lui sont proposés, les diocèses détermineront de nouveaux candidats. Pour le cardinal Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, bien que ce ne soit pas le meilleur accord possible, un mauvais accord est meilleur que pas d’accord du tout.
6. Lettre du pape François aux fidèles de l’Église catholique en Chine.
Après la signature de l’accord intérimaire avec le gouvernement chinois, deux positions radicalement différentes se manifestèrent dans l’Église. D’un côté, certains ont loué sans réserve le succès de la diplomatie vaticane; de l’autre, des gens ont exprimé de profonds doutes et préoccupations sur l’accord. C’est pourquoi le pape François a ressenti le besoin d’expliquer aux catholiques chinois la bonne volonté et les motivations qui ont abouti à la signature de l’accord, dans une lettre du 26 septembre 2018. En premier lieu, le pape indique qu’il veut être le garant et le défenseur de la foi catholique, insistant sur la valeur de la souffrance dans l’histoire passée de l’Église catholique en Chine et dans l’histoire à venir. Ensuite, il ajoute qu’il doit aussi garantir la survie et le témoignage de l’Église catholique en Chine pour le futur. La lettre a apporté du réconfort à ceux qui ont toujours été fidèles au Pape et à son église.
7. Deux évêques chinois «invités par le pape» à participer à une conférence d’évêques venus du monde entier.
Le 3 octobre 2018, deux évêques chinois – Mgr Yang Xiaoting de Ya’nan [Shaanxi] et MgrGuo Jincai de Chengde [Hebei] – sont arrivés à Rome pour le synode 4. Lors de la messe d’ouverture, le pape François a semblé très heureux lorsqu’il a déclaré [à l’intention des deux évêques chinois]: « ous leur exprimons notre chaleureuse bienvenue : la communion de l’Épiscopat tout entier avec le Successeur de Pierre est encore plus visible grâce à leur présence.» Comme un père miséricordieux, le pape a le cœur plein d’espoir que l’Église de Chine pourra atteindre la pleine communion avec l’Église universelle, en travaillant fermement pour éviter un schisme.
8. Après la signature de l’accord, deux sites de pèlerinage mariage ont été démolis dans le Shaanxi et le Guizhou.
Malgré la signature de l’accord avec le Vatican, les statues et les croix de deux sanctuaires mariaux dans le Shaanxi et le Guizhou, ont été abattus ou enlevés, ce qui a provoqué chez les prêtres et les fidèles un sentiment d’impuissance. Assurément, ces actions contre le catholicisme ne faisaient en aucun cas partie de l’accord Chine-Vatican, mais le Saint-Siège ne protestera pas davantage qu’il ne manifestera son mécontentement. Ainsi, l’accord Chine-Vatican n’améliore pas du tout la situation de l’Église catholique en Chine. Ceux qui continuent à espérer que l’accord pourra améliorer la vie de l’Église en Chine, ne comprennent toujours pas l’idéologie officielle de la Chine et les conditions objectives de la société chinoise contemporaine.
9. Quatre prêtres souterrains de la province de Hebei refusent de recevoir le certificat et sont enlevés par des fonctionnaires gouvernementaux.
La province de Hebei est le cœur de l’Église catholique souterraine. Pendant longtemps, les catholiques locaux ont lutté pour défendre les principes de la foi catholique et la loyauté envers le successeur de Pierre, en niant l’autorité du gouvernement à choisir et à ordonner des évêques. Ils sont fermement opposés à être indépendants du Pape de Rome et sont contre l’Association patriotique 5. Bien que le comité de l’Église catholique [officielle] de la province de Hebei ait approuvé la reconnaissance de tous les prêtres en leur accordant une carte de membre [de l’Église officielle], des clercs souterrains ont estimé ce compromis inacceptable et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre eux ont refusé de prendre cette “carte d’identité” de prêtre officiel.
Comme la politique religieuse du pays a des règlements précis pour chaque religion, seuls les groupes religieux enregistrés sont reconnus par les autorités. Les seuls groupes catholiques reconnus par le gouvernement chinois sont l’Association patriotique des catholiques chinois et le Congrès national des représentants catholiques. Le Comité national des catholiques chinois, tout comme les comités locaux de l’Église catholiques, est placé sous le Congrès national. Par conséquent, les activités pastorales et missionnaires des ecclésiastiques souterrains qui refusent la carte d’identité des prêtres, sont considérées comme illégales par les autorités gouvernementales. Il est donc devenu très facile d’arrêter ces prêtres.
10. L’évêque souterrain Guo Xijin démissionne au profit de l’évêque anciennement illégal Zhan Silu.
Avant que soit signé l’accord intérimaire, des rumeurs circulaient selon lesquelles le Saint-Siège allait envoyer un envoyé spécial en Chine pour convaincre Mgr Guo Xijin de Fujian de démissionner afin de permettre à l’évêque Zhan Silu de prendre sa place.
Après la signature de l’accord, ces rumeurs se sont révélées vraies. Le Saint-Siège a envoyé l’archevêque Claudio Maria Celli 6 comme “ambassadeur” 7 à Pékin pour qu’il demande à l’évêque Guo Xijin de se retirer en faveur de l’évêque Zhan Silu. Guo Xijin a accepté avec humilité l’ordre du Saint-Siège et est devenu évêque auxiliaire du diocèse de Mindong. Ce pourrait être un pas vers l’unité entre l’Église officielle et l’Église souterraine, et l’aube d’une communion entre les deux communautés.
Considérer les principaux événements de 2018 ayant concerné l’Église catholique chinoise, nous laisse inévitablement plein de confusion et d’angoisse. Bien que le Saint-Siège et le gouvernement chinois aient signé un accord provisoire, le chemin vers l’unité de l’Église catholique chinoise demeure long à parcourir, non seulement en raison des nombreuses incompréhensions et inimitiés qui se sont développées au cours du temps, mais aussi et tout spécialement en raison d’une interférence politique de l’extérieur.
Le long cheminement du catholicisme à travers l’histoire humaine dure depuis quelque 2000 ans. Comparées à cette durée, les innombrables frustrations et conditions difficiles auxquelles l’Église en Chine a été affrontée peuvent être considérées comme “normales”.
Comme Jésus l’a promis: «Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». Ainsi, la certitude de Sa présence emplit d’espérance l’avenir de l’Église catholique en Chine.
Source: AsiaNews, 6 mars 2019 – © CP pour la traduction.
1. Le massif de Jinggang est l’endroit où Mao et ses compagnons se réfugièrent après que le Kuomintang se retourna contre eux en 1927. C’est de là que partit la conquête de la Chine. Le Jinggang est considéré comme le lieu de naissance de l’Armée populaire de libération et le «berceau de la révolution».
2. Cet évêque de 88 ans a été remplacé par Mgr Giuseppe Huang Bingzhang, un des sept évêques dont le pape François a levé l’excommunication.
3. Quelques précisions sur cette affaire compliquée. Mgr Vincent Guo Xijin était l’évêque “souterrain” mais légitime du diocèse de Fujiang, reconnu par le Saint-Siège mais pas par le gouvernement chinois. À la demande du Vatican, il a démissionné en tant qu’ordinaire du diocèse pour laisser la place à Mgr Vincenzo Zhan Silu, reconnu par le gouvernement mais non par le Saint-Siège qui, depuis, l’a “légitimé” – on dit “réconcilié” dans le langage ecclésiastique – ainsi que six autres évêques irrégulièrement ordonnés et nommés. En échange, le gouvernement chinois a accepté que Mgr Guo devienne l’auxiliaire de Mindong (cf. le point10 du document ci-dessus).
4. XVe assemblée générale ordinaire du synode des évêques sur «Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », dit Synode sur la jeunesse, qui s’est tenu du 3 au 28 octobre 2018. C’était la première fois que des évêques de Chine [populaire] prenaient part à une assemblée épiscopale mondiale depuis les années 1950.
5. L’Association patriotique des catholiques chinois est une institution créée par les communistes en 1957, visant à créer une Église nationale soumise au Parti communiste.
6. Archevêque titulaire de Civitanova et ancien président du Conseil pontifical pour les communications sociales, supprimé en 2016, Mgr Claudio Maria Celli, âgé de 77 ans, a été l’un des principaux négociateurs de l’accord avec la Chine.
7. La Chine populaire et le Saint-Siège n’entretiennent pas de relations diplomatiques formelles.