Demandé par le chef de l’État, le rapport de Charles Personnaz sur le renforcement de « l’action de la France dans la protection du patrimoine du Moyen-Orient et le soutien éducatif des communautés chrétiennes de la région », auquel nous avons consacré le dossier de notre précédente livraison, indique objectivement l’intérêt du Président Macron pour les communautés chrétiennes du Proche-Orient. Un intérêt qui s’est de nouveau manifesté, le 29 janvier dernier en Égypte, par son annonce de la tenue d’une nouvelle conférence à Paris sur les chrétiens d’Orient. Sur ce dernier point, et sur d’autres, nous avons demandé à Charles de Meyer, président de SOS Chrétiens d’Orient, des éclaircissements.
Lors de son voyage officiel de janvier dernier en Égypte, le président Emmanuel Macron a annoncé la tenue à Paris d’une nouvelle conférence destinée à trouver les moyens d’aider « plus efficacement » les chrétiens d’Orient. Que pensez-vous de cette nouvelle initiative et qu’en attendez-vous ?
Je salue cette initiative, comme toutes celles qui intéressent le sort des chrétiens d’Orient, nos frères aînés dans la foi. Elle est un signal. Mais la France, et l’État, n’ont jamais cessé d’envoyer des signaux en direction des chrétiens d’Orient. Combien d’intentions de prières dans les diocèses par rapport à quelques propos épiscopaux malheureux sur la Syrie ? Combien d’associations œuvrant pour les chrétiens du Levant en comparaison aux relais médiatiques du soutien aux rebelles syriens ? Combien de jeunes Français partis sur le terrain aider les chrétiens d’Orient par rapport aux djihadistes venus depuis notre pays qui les hébergeait ?
Le pays réel, la masse des Français, est étreint par un devoir inconscient de charité et de solidarité pour ceux qui ont permis que notre pays existât. Sans le formidable élan missionnaire de quelques Araméens puis d’hommes de culture grecque, il n’y aurait pas eu de christianisme ni de chrétienté, et donc pas eu de France. Même Emmanuel Macron sent ça. C’est quasiment de l’épigénétique !
Reste qu’un signe des temps ne fait pas une politique. Et nous retombons là dans les affres de la politique partisane. Tant que SOS Chrétiens d’Orient n’est pas à la table des négociations de manière officielle, ces initiatives sont risibles. Certes, des associations comme l’AED, distribuent plus d’argent que nous au Proche-Orient, et il faut les en remercier, mais nos volontaires sont sur le terrain sans discontinuer depuis maintenant cinq ans. D’Erbil à Aman, de Damas à Alexandrie, de Beyrouth à l’Éthiopie, SOS travaille. Dans certains pays nous formons même la majorité des Français présents ! Alors comment envisager une solution fiable sans notre présence ? C’est un premier point.
Un autre point est plus politique. Il faut établir que les chrétiens d’Orient ne sont pas des minorités. Ils sont les inventeurs d’un mode de vie et parfois des régimes politiques de leurs pays. Ils ne sont pas des « hommes en trop », pour reprendre la belle expression de Jean-François Colossimo, mais le sel de la terre en Orient. Ils sont des serviteurs de leurs sociétés : dans la santé, l’éducation, les armées. Il faut donc parler au cours de cette conférence UNIQUEMENT des chrétiens d’Orient. Les minorités du Proche-Orient méritent évidemment un soutien puissant, mais ce n’est pas du même registre.
Il faut ensuite lutter contre toutes les absurdités françaises : le laïcisme, le militantisme idéologique à l’œuvre dans certaines ambassades, et, bien entendu, le tabou de l’islam. Un exemple tout simple : Al-Azhar. Cette université est évidemment un phare culturel. Mais c’est aussi elle qui donne son accord pour la publication de manuels scolaires humiliant les chrétiens en Égypte. Il faut que tombent les tabous pendant cette conférence et qu’une liste des scandales touchant les chrétiens d’Orient soit officiellement établie.
Enfin, j’espère que la place de la diplomatie française dans ces affaires sera évoquée. Le suivisme otanien et le prêchi-prêcha de chercheurs d’extrême gauche sont des plaies béantes dans l’action de la France au Proche-Orient.
Dans le message de vœux du 2 janvier, que vous avez cosigné avec Benjamin Blanchard, directeur de SOS Chrétiens d’Orient, vous avez appelé à la création, au sein du gouvernement français, d’un « secrétariat d’État aux chrétiens d’Orient ou aux chrétiens persécutés ». Pourquoi une telle demande et qu’attendriez-vous d’un tel organisme gouvernemental si d’aventure il était créé ?
Parce que la France a une vocation spécifique au Proche-Orient. Notre histoire orientale ne commence pas avec nos mandats internationaux, elle est sise dans les accords du pouvoir royal et dans les élans missionnaires de la chrétienté. Le premier évêché latin de Bagdad a ainsi été fondé grâce à la générosité d’une famille française.
Or, pour les chrétiens d’Orient, il y a urgence. Des accords tacites d’État et quelques personnes au Quai d’Orsay ne suffisent plus : il faut que la France remette en place une action indépendante au Proche-Orient, équilibrée entre les mondes sunnites et chiites, équilibrée entre le réalisme économique et les exigences éthiques, équilibrée entre les réalités modernes et l’imprégnation religieuse de toute cette région. Les chrétiens d’Orient nous tendent la main pour établir ce pont. S’il n’y a plus assez de considération pour l’honneur dans les couloirs du pouvoir pour en comprendre la nécessité, que le simple calcul des intérêts de la France l’emporte !
Un tel organisme devrait à mon sens mener cinq actions immédiates :
– Régler la question des réfugiés chrétiens bloqués en Jordanie
– Tout faire pour permettre le retour de réfugiés chrétiens syriens chez eux, avec une aide de la communauté internationale
– Créer un référent « chrétien d’Orient » dans chaque ambassade ou consulat où c’est nécessaire
– Prendre à bras-le-corps la question du soutien de la francophonie par les institutions religieuses
– Intégrer la question des chrétiens d’Orient à toute décision concernant la politique dite arabe de la France.
Le gouvernement hongrois a créé en septembre 2016, un secrétariat d’État consacré à l’aide aux chrétiens persécutés, initiative sans précédent peut-être dans le monde. Est-ce cette initiative hongroise qui a motivé votre idée et qu’en pensez-vous ?
Disons qu’elle a plutôt expliqué notre gêne. Les Hongrois ont une vaste et belle histoire ; notamment de résistance face aux assauts ottomans, mais elle est moins liée que la nôtre à cette région. Sans parler des moyens de nos politiques internationales.
SOS Chrétiens d’Orient entretient les meilleures relations du monde avec la diplomatie hongroise et je ne peux que saluer tout le travail qu’elle effectue. C’est une leçon et un exemple pour nous.
Leur action est ciblée, comme leur subvention à la reconstruction d’églises anciennes au Liban, leurs chargés d’affaires compétents, c’est un régal de les rencontrer. Évidemment, la grande différence, c’est qu’il n’y a pas de tabou religieux en Hongrie.
Le jour où la rengaine antichrétienne entrera dans le roman des repentances nationales, nous pourrons certainement les imiter et démultiplier cette action grâce aux ressources et au génie français.