C’est un procès qu’on pourrait qualifier de surréaliste, qui s’est tenu le 22 février dernier au tribunal militaire de Bellizone, devant lequel un sous-officier de l’armée helvétique était poursuivi, en application de l’article 94 du Code pénal militaire, du chef de participation aux actions d’une « armée étrangère » sans autorisation du Conseil fédéral. Sa condamnation est assez légère, mais on peut s’interroger sur son bien-fondé, non pas légal, mais moral. Si la neutralité suisse est un absolu, alors elle est une idole… Une narration de BBC News.
Un tribunal militaire suisse vient de condamner un ancien soldat1 parti combattre le groupe État islamique [EI] en Syrie.
Johan Cosar avait tiré parti de ce que son entraînement militaire lui avait appris pour recruter des centaines d’hommes afin de défendre des communautés chrétiennes contre l’EI.
Il a été jugé coupable d’avoir porté atteinte à la neutralité et à la sécurité suisses en rejoignant une armée étrangère, et a été condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 500 francs suisses [environ 440 €].
Cosar n’a jamais tenté de cacher son engagement dont il se dit toujours fier. Il a déclaré envisager de faire appel de sa condamnation laquelle est plutôt légère car, pour de tels faits, il risquait jusqu’à trois ans de prison ferme.
Il est né en Suisse et est citoyen suisse mais ses grands-parents sont d’origine syrienne et les membres de sa famille appartiennent à la communauté chrétienne syriaque.
À son retour de Syrie, il fut arrêté [le 11 mars 2015] et inculpé conformément au Code de justice militaire suisse qui interdit à ces citoyens suisses de servir dans des armées étrangères.
Ce verdict est semblable à d’autres condamnations qui ont frappé d’autres Suisses au cours des dix années écoulées, la plupart d’entre eux s’étant engagés dans la Légion étrangère française.
Au début du procès, un porte-parole de l’Armée avait déclaré : « La loi interdit d’aller combattre pour une force étrangère. Argumenter sur la nature de cette force est dénué de pertinence ».
Aujourd’hui âgé de 37 ans, Cosar a déclaré qu’il était d’abord parti en Syrie pour travailler en tant que journaliste indépendant, mais constatant que les groupes islamistes progressaient vers les communautés chrétiennes, il n’avait pas eu d’autre choix que de les défendre. Il contribua à la création du Conseil militaire syriaque2, recruta pour lui et partagea volontiers le savoir-faire militaire qu’il avait acquis dans l’Armée suisse, notamment le maniement des armes et la mise en place de postes de contrôle. Au plus fort des affrontements, il commandait jusqu’à 500 hommes. Mais rejoindre une armée étrangère sans la permission explicite du gouvernement est interdit selon le Code de justice militaire suisse.
Il y a de bonnes raisons historiques à cette loi : pendant des siècles des jeunes Suisses quittaient leur pays alors pauvre, pour aller combattre à l’étranger. Des mercenaires suisses furent recrutés par Napoléon, l’Espagne, les Pays-Bas et même par les Britanniques. Mais sitôt que la Suisse s’imposa comme pays neutre, son gouvernement décida qu’il serait peu opportun que des Suisses continuent à combattre dans les camps des belligérants lors des conflits européens, et il l’interdit.
Aujourd’hui, il ne demeure plus qu’un seul vestige de la tradition mercenaire suisse : la Garde suisse pontificale à Rome3.
À l’ouverture de son procès, Cosar a été accueilli par une petite manifestation d’amis et de membres de sa famille qui portaient des bannières où l’on pouvait lire « Combattre l’État islamique n’est pas un crime ». Lui-même a déclaré qu’il méritait une médaille et pas un procès pour avoir « combattu le terrorisme » et avoir protégé les minorités chrétiennes de Syrie, vouées selon lui à une mort certaine.
L’ambiance, à l’intérieur de la salle d’audience, a été décrite comme détendue. Toutefois, le gouvernement suisse n’entend pas envoyer le signal que combattre dans des guerres étrangères pourrait être toléré, en aucune circonstance, même « honorable »
Source : BBC News, 22 février 2019. – © Chrétiens Persécutés pour la traduction.
1. Les expressions « ancien soldat » (former soldier) dans le chapeau de l’article de BBC News du 22 février, et « ancien officier suisse » (former Swiss officer) dans le titre, laissent perplexe. Rien n’indique que Johan Cosar ait perdu son rang de sergent dans l’armée helvétique. De plus, un Suisse, même s’il n’est pas militaire professionnel demeure, en quelque sorte, soldat toute sa vie ou plutôt milicien,
2. Le Conseil militaire syriaque (MFS, Mawtbo Fulhoyo Suryoyo) fut fondé le 8 janvier 2013. De 150 combattants à sa création, le MFS compta jusqu’à 1 500 hommes au début de 2015 et organisa même un bataillon féminin en août de la même année. Le 11 octobre suivant le MFS rallia les Forces démocratiques syriennes, créées la veille, largement dominées par les Kurdes.
3. La Garde suisse n’a pas besoin de l’autorisation nécessaire du gouvernement, le Conseil fédéral, car elle n’est pas considérée, de son point de vue, comme un corps d’armée étranger mais comme un corps de police… Passez, muscade…