Un adage dit que pour dîner avec le Diable il faut une longue cuillère. Mais de quelle taille doivent être les baguettes pour dîner avec le communisme chinois ? Pressé de toutes parts par des évêques de Chine continentale hésitant sur le parti à prendre face à l’exigence du régime de Pékin qu’ils fassent une demande d’enregistrement civil afin de pouvoir exister légalement, le Saint-Siège a publié, le 28 juin dernier, des Orientations pastorales à propos du l’enregistrement civil du clergé en Chine. Ce texte, diffusé en trois langues (italien, anglais et chinois), ne comporte ni signature ni mention du département qui l’a rédigé. C’est d’ailleurs la remarque liminaire que fait le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, archevêque émérite de Hong Kong, dans un long texte où, précisément, il s’interroge sur ces « Orientations pastorales ». Ces remarques baptisées par leur auteur de Dubia, méritent d’être lues avec attention. Nous les avons traduites à partir de leur version en anglais.
Avant toute chose, je trouve curieux que le document soit diffusé par le « Saint-Siège » sans préciser de quel département et sans aucune signature d’un responsable.
Dans ses § 1 et 2 le document explique quel est le problème et quelle est sa solution générale.
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- Le problème c’est que le gouvernement [chinois] est revenu sur sa promesse de respecter la doctrine catholique. Pour ce qui est de l’enregistrement civil du clergé, il est quasiment toujours exigé que le clergé adhère au principe d’auto-gouvernement, d’indépendance et d’autogestion de l’Église en Chine (ceci pourra être complété avec ce que la lettre de Benoît XVI [27 mai 2007] dit dans son n° 7 § 8 : « [sur ceux] qui posent des gestes et [prennent] des engagements qui sont contraires aux préceptes de leur conscience de catholiques »).
- Face à cette situation complexe qui n’est pas toujours la même partout, le Saint-Siège a fourni un schéma général sur la manière de se comporter : d’une part, il déclare qu’il n’a pas l’intention d’obliger les gens, appelant donc (mais en omettant de dire explicitement qu’il s’agit « du gouvernement ») au respect de la conscience des catholiques. D’autre part, il déclare, comme étant un principe général, « que l’expérience de la clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Église », ce qui veut dire qu’il est normal pour elle d’en sortir.
Pour ce qui est de la citation de la lettre du pape Benoît XVI en son n° 8 § 10, j’ai pris la liberté d’en prendre presque entièrement tout le paragraphe :
a) « Certains d’entre eux, ne voulant pas être soumis à un contrôle indu exercé sur la vie de l’Église et désireux de maintenir une pleine fidélité au Successeur de Pierre et à la doctrine catholique, se sont vus contraints de se faire consacrer clandestinement. ».
b) « La clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Église, »
c) « et l’histoire montre que Pasteurs et fidèles y ont recours uniquement avec le désir tourmenté de maintenir intègre leur propre foi »
d) « et de ne pas accepter l’ingérence d’organismes d’État dans ce qui touche l’intime de la vie de l’Église. »
Le Père Jeroom Heyndrickx et le cardinal Parolin ne citent que la partie b) ; le pape François a aussi ajouté la partie c) ; mais il me semble que les parties a) et d) sont aussi importantes.
Le paragraphe montre clairement que l’anormalité n’est pas le choix du clergé souterrain, que le choix est inévitable. C’est la situation qui est anormale ! Est-ce que la situation a maintenant changé ? - Le troisième et long paragraphe tente de prouver de qui est suggéré au § 5.
Première interrogation : la Constitution qui garantit la liberté religieuse.
Qu’est-ce que la longue histoire de la persécution nous enseigne, indépendamment de la Constitution ?
Deuxième interrogation : après l’accord [entre le Saint-Siège et la Chine], « l’indépendance », logiquement, ne devrait plus être comprise comme indépendance absolue, mais…
Avant tout, si je ne peux pas voir le texte de l’accord, il m’est difficile de croire qu’il [le gouvernement chinois] a vraiment reconnu « le rôle particulier du Successeur de saint Pierre ».
Y a-t-il quelque chose de logique dans les systèmes totalitaires ? La seule c’est, selon Deng Xiaoping, qu’il importe peu qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il serve les objectifs du Parti.
Dans la période qui a immédiatement suivi l’accord, rien n’a changé. Tout a été officiellement réaffirmé.
Troisième interrogation : le contexte d’un dialogue consolidé.
Le document ne reconnaît-il pas que le gouvernement est revenu sur ses promesses, comme cela est signalé à la fois dans les premier et neuvième paragraphes de ce document ?
Quatrième interrogation : tous les évêques ont été légitimés.
Ceci ne prouve que la générosité illimitée du pape ou peut-être la pression toute-puissante du gouvernement, mais nous ne constatons aucun changement chez les pardonnés et les « récompensés » ; aucun signe de repentir ; que des signes de triomphe assuré ; des moqueries envers ceux qui ont parié sur le mauvais cheval. - Le § 4 stipule que les raisons mentionnées précédemment, justifient une nouvelle attitude. Ici, au moins, on a l’honnêteté de dire que ce qui est proposé est quelque chose de nouveau et que donc ce n’est pas en continuité avec le passé mais un démenti du passé, comme quelque chose de dépassé, quelque chose qui n’est plus valable.
Il est aussi dit que le Saint-Siège tente de se mettre d’accord avec le gouvernement sur une formule (et cela doit s’entendre dans les deux sens).
Mais notre question est la suivante : « Une formule » ? Ce qui est demandé et accepté ce n’est pas une déclaration sur une théorie : c’est tout un système, un régime dans lequel il n’y aura aucune liberté pastorale, où chacun devra suivre les ordres du Parti, y compris les mineurs de moins de 18 ans auxquels on interdit de prendre une quelconque part aux activités religieuses. - Dans le § 5 nous trouvons les Orientations pastorales au sens propre. En bref : pas de problème pour signer tout ce que le gouvernement demande, peut-être avec une clarification niant ce qui a été signé. Si une clarification écrite n’est pas possible, qu’elle soit faite verbalement, avec ou sans témoin. Pourvu qu’il y ait une intention de ne pas accepter en conscience ce qui été effectivement signé. Un texte est signé en opposition à la foi et l’on déclare que l’intention est de promouvoir le bien de la communauté, une évangélisation appropriée et la gestion responsable des biens de l’Église. Cette règle générale est de toute évidence contraire à tout le fondement de la théologie morale ! Si elle est valable, elle justifierait même l’apostasie.
- Dans le § 6 il est dit que le Saint-Siège comprend et respecte le choix de ceux qui, en conscience, n’acceptent pas la règle susmentionnée. De toute évidence, il s’agit là d’une compassion envers une minorité “têtue” qui ne réussit toujours pas à comprendre la nouvelle règle.
- Le § 7 parle de certains devoirs qui incombent aux évêques en citant un document qui n’a rien à voir avec le problème que nous évoquons.
- Dans le § 8 on dit que les fidèles doivent accepter la décision de leurs pasteurs. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’ils n’ont pas la liberté personnelle de choisir ? Leur conscience ne doit-elle pas être respectée ?
Quand les frères de Chine [continentale] me demandent ce qu’il faut faire, je leur ai toujours donné cette réponse : respecter le choix des autres et demeurer ferme dans la conviction de sa propre conscience. Je dis cela parce que je n’ai pas l’autorité d’imposer mes opinions aux autres sur ce qui est juste ou faux. Mais le Saint-Siège n’a-t-il pas l’autorité et donc le devoir de clarifier précisément cela aux membres de l’Église ? Les Orientations pastorales le font-elles ? - Dans le § 9 il est dit que, en attendant, le Saint-Siège demande (en omettant encore les mots « au gouvernement ») que les communautés catholiques non officielles ne soient pas soumises à des pressions indues, comme ce fut le cas dans le passé.
La décision de ne pas utiliser le mot « gouvernement » ressemble presque à la révérence traditionnelle qui consistait à ne pas mentionner le nom de l’empereur.
Finalement, il est recommandé à chacun de discerner la volonté de Dieu avec patience et humilité. Je me demande donc : est-ce que la fermeté de la foi n’a pas été perdue quelque part ?
Puis il est dit que « le chemin de l’Église en Chine [est] marqué […] par tant d’espoir malgré les difficultés endurées ». Il me semble, au contraire, que les faits ont détruit tout fondement à une espérance humaine. Comme pour ce qui est de l’Espérance en Dieu : elle ne doit jamais être séparée du désir sincère de souffrir selon Sa volonté.
Ce document a radicalement bouleversé ce qui est normal et ce qui est anormal, ce qui est juste et ce qui est pitoyable. Ceux qui l’ont écrit espèrent peut-être que cette pitoyable minorité mourra de sa mort naturelle. Et par minorité, je ne veux pas seulement parler que des prêtres souterrains, mais aussi de ces nombreux frères de la communauté officielle qui ont travaillé avec beaucoup de ténacité afin d’obtenir un changement et en espérant obtenir le soutien du Saint-Siège.
Puisse le Seigneur ne pas permettre l’accomplissement des vœux de ceux qui veulent la mort de la vraie foi dans ma chère patrie.
Source : Blogue du cardinal Zen, 5 juillet 2019 – © CP pour la traduction.