Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient a bien voulu répondre à nos questions sur la situation des chrétiens en Arabie saoudite, pays qui présente la particularité de pas reconnaître et de ne pas protéger la liberté religieuse, alors que la Corée du Nord la reconnaît… mais ne la protège pas davantage qu’elle ne la respecte !
Human Rights Watch1 vient de publier son rapport mondial 2019. Que pensez-vous dans l’ensemble de ce volumineux rapport ?
Je pense d’abord que des associations de ce type font un travail important d’identification des problèmes liés à la dignité de l’être humain et aux droits fondamentaux qui sont bafoués. Mais il me semble que les droits spécifiques des minorités religieuses ne sont pas suffisamment examinés, en particulier ceux des chrétiens. Ces organismes sont conscients de problèmes des croyants chiites qui sont minoritaires dans un pays sunnite, des croyants sunnites qui sont minoritaires dans un pays chiite, mais je trouve qu’il n’y a pas assez de prise en compte des chrétiens privés des droits fondamentaux que les Nations unies sont d’ailleurs censées protéger.
Le rapport souligne, notamment, les nombreuses violations des droits de l’homme en Arabie saoudite ou par les Saoudiens à l’étranger. Vous avez toutefois émis une réserve en raison d’une omission surprenante de ce rapport…
Oui. Il y a environ entre un million et demi et deux millions de chrétiens en Arabie saoudite qui viennent y travailler et qui peuvent donc y rester de nombreuses années, mais il n’y a toujours pas de lieux de culte ouverts en Arabie saoudite alors que, dans l’ensemble des autres pays de la péninsule arabique, on trouve au moins un lieu de culte. Si l’on considère, par exemple, le sultanat d’Oman, il y a plusieurs paroisses. La liberté de culte n’est pas reconnue en Arabie saoudite, mais ce n’est pas seulement une question de liberté du culte, car dans les autres pays où la liberté de culte est reconnue, elle ne l’est que pour les étrangers. Nous posons donc des questions : quels sont les droits pour un musulman de devenir chrétien s’il fait ce choix ? Une femme musulmane a-t-elle le droit d’épouser un chrétien ? Quel est le droit pour les chrétiens d’exprimer publiquement leurs convictions chrétiennes ? Tout cela fait partie des droits fondamentaux reconnus par la communauté internationale et donc nous souhaitons que ces questions soient posées aux États arabo-musulmans pour qu’ils progressent dans la reconnaissance de ces droits. Mais ce n’est pas que dans la péninsule arabique : ce sont aussi pratiquement des difficultés que l’on rencontre dans l’ensemble des pays à majorité musulmane. Encore dernièrement, le gouverneur chrétien de Djakarta, en Indonésie, qui devait se représenter à l’élection à cette fonction, a été accusé de blasphème par un adversaire politique et a été condamné à deux ans de prison : il vient tout juste d’en sortir, dans une certaine indifférence générale de l’opinion publique internationale. Eh bien nous sommes lassés de cette indifférence générale…
En novembre dernier, les autorités saoudiennes ont donné la permission de célébrer, dans leur pays, une messe par un évêque copte orthodoxe au domicile d’un émigré égyptien en Arabie saoudite. S’agit-il selon vous d’un “assouplissement” de la position rigide du régime ou d’autre chose ?
Il y a, en effet, des choses qui progressent, c’est pourquoi il ne faut pas éteindre ces petites braises… Oui il y a des avancées, mais nous attendons beaucoup plus, nous attendons la construction d’un lieu de culte en Arabie saoudite. Point barre !
Le patriarche copte orthodoxe Théodore II a révélé, en novembre dernier, qu’il avait été officiellement invité à se rendre en Arabie saoudite. Cette future visite qui devrait suivre celle également officielle, que le cardinal Bechara Raï, patriarche maronite, a effectuée en Arabie saoudite le 14 novembre dernier, constitue-t-elle un début de changement en Arabie saoudite ?
Nous l’espérons et nous prenons acte de ces visites qui sont importantes comme l’est celle du pape François à Abu Dhabi. Vous savez, dans ces domaines-là, il faut réfléchir à des étapes et pas simplement au point d’arrivée auquel, par définition, nous ne sommes pas encore arrivés ! Chacune de ces rencontres, chacune de ces visites constituent des paliers qui nous permettent de réfléchir à l’étape suivante. Puisque le pape a été invité à Abu Dhabi, il pourra l’être dans d’autres pays. Il s’est déjà rendu dans plusieurs pays musulmans comme l’Égypte, la Turquie, la Jordanie, il est allé en Israël et en Palestine… Le pape connaît ces pays et il s’y rend volontiers comme il se rendra en mars prochain au Maroc. Nous saluons ces visites dans l’aspect positif qu’elles comportent, elles doivent être suivies par des actes concrets. La liberté religieuse n’est pas seulement la liberté de culte.
1. Human Rights Watch est une ONG fondée en 1988 et dont le siège social est à New York. Elle se donne pour mission de défendre les droits de l’homme mais sans marque particulière sur la liberté religieuse. Elle publie chaque année un World Report. Celui de 2019 traite de la situation observée en 2018. La section consacrée à l’Arabie saoudite évoque dans son chapitre « Libertés d’expression, d’association et de croyance », la répression contre les minorités chiites dans ce pays musulman majoritairement sunnite, mais ignore totalement la situation des chrétiens dans le royaume. Une absence dénoncée par Mgr Gollnisch.