Initiatrice d’un appel de sénateurs au Président de la République pour l’accueil d’Asia Bibi en France, Joëlle Garriaud-Maylam, sénateur des Français établis à l’étranger depuis 2004, a bien voulu répondre à nos questions sur le sort de cette infortunée Pakistanaise et sur les chrétiens persécutés dans le monde.
Quand et comment avez-vous pris connaissance de cette « affaire » Asia Bibi ?
Je ne peux vous dire exactement quand j’ai entendu parler d’Asia Bibi pour la première fois, sans doute courant 2009, mais je me souviens par contre parfaitement de mon sentiment de sidération en apprenant sa condamnation à mort de novembre 2010. Bien que connaissant le Pakistan et y ayant constaté le net durcissement des tensions religieuses et de l’intolérance, je n’arrivais pas à croire que l’on ait pu condamner à mort cette jeune paysanne, mère de cinq enfants, pour un soi-disant blasphème. Et je restais persuadée que le bon sens finirait par prévaloir et que la justice pakistanaise l’acquitterait après son appel.
C’était compter sans les effets pervers de la médiatisation de son cas qui n’a fait qu’exacerber les tendances fondamentalistes et obscurantistes de ceux qui prônaient la haine pour mieux asseoir leur pouvoir. Asia était devenue un enjeu de politique intérieure et la cible de toutes les frustrations et de toutes les haines.
Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer cet appel de sénateurs au Président de la République pour lui suggérer d’accueillir Asia Bibi et sa famille ?
Lorsque j’ai appris l’acquittement et la libération d’Asia Bibi, j’ai évidemment ressenti une immense joie et un très grand soulagement Je pensais alors qu’elle serait immédiatement exfiltrée vers un pays occidental qui saurait la protéger. Ce ne fut malheureusement pas le cas et les hordes défilant dans les rues pour réclamer sa pendaison prouvaient qu’elle était sans doute en bien plus grand danger hors de prison que lorsqu’elle était derrière les barreaux.
La seule solution était l’exil mais encore fallait-il trouver un pays prêt à l’accueillir avec son mari et ses enfants. Et les grands pays, à l’instar du Royaume-Uni, semblaient tous, avec un manque de courage terrible, vouloir se défausser.
En tant que Française, attachée aux valeurs d’humanisme et de tolérance incarnées par notre République, je pensais que mon pays avait le devoir moral de mettre ses actes en conformité avec ses paroles et donc de proposer l’asile politique à cette femme et à sa famille.
Voyant que rien ne semblait bouger du côté du gouvernement français et je me suis donc dit qu’il fallait lancer un appel de parlementaires, comme je l’avais fait en juillet 2014 en soutien aux chrétiens d’Irak en appelant à ce que la France saisisse la Cour pénale internationale au sujet des exactions à l’encontre des minorités, notamment chrétiennes, en Irak.
Concrètement, comment avez-vous contacté vos confrères du Sénat et les avez-vous tous contactés ?
Très simplement ! J’ai rédigé cet appel et l’ai envoyé par courriel à l’ensemble de mes collègues sénateurs.
Le Sénat compte 348 élus mais votre appel n’a été signé que par 48 d’entre eux. Considérez-vous ce résultat comme satisfaisant et, selon vous, à quoi tient la réserve des autres sur cette initiative ?
Bien sûr j’aurais aimé qu’il soit soutenu par plus de sénateurs et j’ai été, je l’avoue, déçue de l’absence de soutien de certains, y compris chez les Français de l’étranger. Mais 48 signatures restent un nombre relativement important, surtout au regard du très court délai laissé à mes collègues sénateurs pour me répondre (moins de 48 heures !). À titre de comparaison, l’appel que j’avais rédigé en 2014 en soutien aux chrétiens d’Irak et que j’avais envoyé à l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs confondus, n’avait recueilli que soixante signatures ! Et si, du fait aussi de mon expérience de sénatrice des Français a l’étranger, j’ai toujours eu à cœur de défendre les minorités religieuses et notamment chrétiennes au Moyen-Orient et ailleurs, je comprends que beaucoup de mes collègues n’aient pas la même approche et préfèrent se consacrer davantage à des problématiques plus domestiques. Certains ont pu penser aussi que le Royaume-Uni avait eu raison de refuser d’accueillir Asia au regard des tensions et menaces pouvant être engendrées par sa présence.
Considérez-vous que la réponse faite au nom du Président de la République soit satisfaisante et encourageante ?
La réponse faite par le directeur de cabinet du Président de la République n’est guère surprenante et ne nous a rien appris. Elle nous assure cependant de l’attention qu’il porte au dossier et laisse entendre qu’une offre d’accueil aurait été faite. Je resterai quant à moi très vigilante sur le dossier d’Asia Bibi comme sur celui de toutes les personnes, notamment chrétiennes, qui voient leurs droits bafoués aux quatre coins du monde du fait de leur religion. Le Moyen-Orient tout comme l’Afrique, notamment le Nigéria, sont des régions où le fanatisme religieux fait un grand nombre de victimes. Il faut se battre au quotidien, y compris en France, pour que le principe de laïcité reste inclusif et permette à tous d’exercer leur liberté religieuse et leur droit de prier dans le respect des autres, sans fanatisme ni endoctrinement.
D’une manière générale, considérez-vous que les membres du Sénat soient suffisamment informés de la situation, à bien des égards tragique, des chrétiens dans le monde. Sinon que préconiseriez-vous pour améliorer leur information ?
La liberté religieuse est un sujet qui doit préoccuper l’ensemble de la classe politique. La sécurité des chrétiens d’Orient est aussi la nôtre. Nous devons rester vigilants et employer tous les moyens, notamment par le biais de la diplomatie parlementaire, pour aider les minorités. Je suis ainsi allée à plusieurs reprises à leur rencontre, par exemple dans les camps de réfugiés de Syrie et du Kurdistan irakien où je retournerai prochainement.
Le groupe de travail du Sénat que préside Bruno Retailleau sur les droits des minorités religieuses et notamment chrétiennes au Moyen-Orient, a procédé à de très nombreuses auditions sur le sujet et a utilisé la réserve parlementaire pour soutenir de nombreuses associations d’aide aux minorités, ce que j’ai fait également à titre personnel. La proposition de résolution européenne de Bruno Retailleau sur la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak, a été adoptée à une très large majorité.
Je trouve par contre que l’information et le soutien à ces minorités doivent être développés en France et je salue le travail que vous faites, aux côtés d’autres associations comme Solidarité en Irak. Les chrétiens doivent pouvoir rester sur les terres où ils sont nés. Ils étaient plus d’un million sur le seul territoire irakien avant l’invasion américaine. Ils ne sont plus que 300 000 aujourd’hui dans toute la région ! Le Moyen-Orient a été le berceau du christianisme. Il faut pouvoir protéger les chrétiens pour leur permettre de vivre en paix, car leur situation se dégrade partout. 4 000 chrétiens auraient été tués dans le monde du fait de leur religion, la majorité au Nigéria. Les discriminations qu’ils subissent, notamment dans les domaines de l’éducation, du droit et de l’économie, voire les persécutions dont ils sont victimes, ne cessent de croître, et on estime aujourd’hui qu’un chrétien sur neuf est persécuté dans le monde. C’est une forme de génocide diffus qui se met en place. Il est donc essentiel de promouvoir la liberté religieuse, droit humain fondamental, et des valeurs de tolérance et de respect de l’autre. C’est un sujet qui doit être davantafe débattu, notamment au sein d’assemblées parlementaires ou dans le cadre de la diplomatie parlementaire au niveau bilatéral ou régional où nous pouvons sensibiliser nos homologues à cette problématique. En tant que parlementaires, nous avons une immense responsabilité, et il en va aussi de l’avenir de nos sociétés en Europe.