Jean-Yves Le Drian, notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, participait, à la fin des années 1960, aux pèlerinages vers Chartres des étudiants catholiques de Paris et de l’Île-de-France. Ce catholique n’est guère disert aujourd’hui et dans ses fonctions sur la persécution atroce des chrétiens dans le monde. De l’autre côté de la Manche, Jeremy Hunt (photo ci-dessous), alter ego de Le Drian, comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères et au Commonwealth, n’a pas ces pudeurs laïques qui marquent étrangement nos politiques. Il a publié, le 26 décembre dernier, une tribune libre dans le quotidien The Telegraph qui a sitôt été reprise sur le site officiel du gouvernement de Sa Majesté britannique. Le texte est long mais fort instructif. Nous l’avons traduit à votre intention…
Hier [25 décembre], avec ma famille, j’ai fait un court déplacement pour me rendre dans mon église locale où nous avons bénéficié d’un service religieux édifiant.
Nous y avons participé par choix personnel mais, du fait que j’ai été nommé ministre des Affaires étrangères [Foreign Secretary], j’ai été frappé de constater combien nous tenions un tel choix pour une chose acquise : d’autres, ailleurs dans le monde, doivent affronter la mort, la torture et l’emprisonnement pour un tel droit.
Il est intensément poignant à Noël, d’apprendre par de récentes mises en garde que la persécution que subissent les chrétiens dans le monde entier est désormais des plus sévères dans la région même où le christianisme est né.
Voici un siècle, 20 % de la population du Moyen-Orient était chrétienne : aujourd’hui, ce pourcentage est tombé à 5 %.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Le dimanche des Rameaux 2017, l’auteur d’un attentat suicide a visé une cathédrale chrétienne en Égypte qui existe depuis les débuts du christianisme, et a brutalement coûté la vie à 17 fidèles. C’est un exemple extrême, mais en aucune manière unique. La semaine passée, j’ai rencontré une doctoresse irakienne qui m’a raconté que des patients l’avaient menacé ainsi que sa famille de les décapiter tous quand ils eurent appris qu’elle était chrétienne et qu’elle refusait de se convertir. Étape atroce après étape atroce, nous sommes témoins de l’érosion du christianisme en tant que religion vivante, dans son cœur même.
Ailleurs, la situation est aussi gravement périlleuse. Dans le monde, environ 215 millions de chrétiens souffrent de persécution selon le groupe de pression Open Doors [Portes Ouvertes]. La Société internationale pour les droits de l’homme1 a découvert que 80 % des actes de discrimination religieuse étaient commis contre des chrétiens. C’est comme cette famille chrétienne que j’ai rencontrée récemment et qui était accusée de blasphème au Pakistan : ils m’ont raconté la manière dont des extrémistes s’en étaient pris à eux, attaquant leurs jeunes garçons, leur arrachant leurs uniformes scolaires et tirant sur leur mère. Ce sont là des parallèles frappants avec l’affaire d’Asia Bibi, cette chrétienne pakistanaise qui a été battue, emprisonnée et qui, malgré son acquittement, continue à vivre sous garde constante en raison de la menace d’une foule qui veut se faire justice : sa situation critique a ému le cœur de l’opinion publique britannique.
La Grande-Bretagne a longtemps défendu la liberté religieuse au plan international et le Premier ministre a souligné notre qualité de chef de file mondial quand elle a nommé mon excellent collègue Lord Ahmad, son Envoyé spécial pour la liberté de religion ou de croyance. Bien souvent, la persécution des chrétiens a été un signe avant-coureur de la persécution de toutes les autres minorités.
Mais je ne suis pas convaincu que notre réponse aux menaces que subit ce groupe particulier a toujours été adéquate à l’ampleur du problème, ni qu’il ait pris en compte les preuves tangibles que ce sont les chrétiens qui supportent le poids disproportionné de la persécution. Cela est peut-être étayé par ce sentiment tout ce qu’il y a de britannique à éprouver de la gêne à “servir Dieu”. Peut-être est-ce une prise de conscience de notre histoire coloniale ou encore parce que la Grande-Bretagne étant un pays traditionnellement chrétien, certains ont peur d’être vus en train d’apporter à des chrétiens une aide dont ils ont désespérément besoin.
Quelle que soit la cause nous ne devons jamais laisser un politiquement correct malavisé empêcher notre réaction à la persécution d’une minorité religieuse.
J’ai donc demandé au Révérend Philip Mounstephen, évêque de Truro, de mener une étude indépendante pour savoir si nous faisons tout ce que nous pouvons. Je souhaiterais que cela nous aide à envisager quelques questions difficiles et nous offre des recommandations politiques ambitieuses.
La Grande-Bretagne possède, selon moi, le meilleur réseau diplomatique du monde : pourrons-nous alors l’utiliser pour encourager des pays à assurer la sécurité qui convient à des groupes minoritaires menacés ?
Avons-nous été suffisamment généreux dans notre offre d’aide pratique et le niveau de soutien du Royaume-Uni est-il adéquat à l’ampleur des souffrances ? Nos priorités en matière de politique étrangère ont-elles toujours été à la hauteur en matière de défense et de soutien concret à de tels groupes ?
Je suis loin d’être la personne la plus éloquente à aborder ce problème : le prince Charles, l’archevêque de Cantorbéry et de nombreux parlementaires de toute sensibilité politique nous ont mis en garde à maintes occasions. Mais avec le christianisme au bord de l’extinction là même où il est né, le temps est venu d’une action concertée qui commence par en inverser le cours. J’ai demandé à l’évêque Mounstephen de me rendre son rapport d’ici à Pâques.
La Grande-Bretagne a une longue histoire dans la défense des droits de toutes les communautés religieuses. Je suis fier de la manière dont le Royaume-Uni a conduit le monde à condamner le nettoyage ethnique de la communauté musulmane des Rohingyas en Birmanie, ou encore de notre réaction de colère passionnée à la résurgence récente de l’antisémitisme dans notre propre pays.
Il n’est pas dans notre caractère national de fermer les yeux face à la souffrance. Toutes les minorités religieuses doivent être protégées et nous avons la preuve évidente que dans certains pays les chrétiens sont les plus exposés.
Nous devons avoir la volonté d’affirmer ce fait et d’y ajuster par conséquent notre politique.
L’apôtre Paul nous a prévenus des souffrances que les chrétiens devraient endurer au cours des temps, mais voyait toujours des raisons d’espérer : « Nous sommes affligés de toute part, mais non angoissés ; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; terrassés, mais non annihilés. »2. Il est temps de faire écho à ce message d’espérance pour l’Église persécutée dans le monde entier : en actes comme en paroles.
Source : Site officiel du gouvernement britannique (gov.uk), 26 décembre 2018 – © Chrétiens Persécutés pour la traduction.
1. ONG fondée en 1972 dont le siège est à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne.
2. 2 Corinthiens, 5, 8-9.