Comme les années précédentes, Coptic Solidarity, une ONG dont le siège est aux États-Unis et qui se bat pour l’égalité des droits des chrétiens en Égypte et au Moyen-Orient, a étudié avec attention le dernier rapport annuel de la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde, créée en 1998 pour promouvoir et défendre la liberté religieuse dans le monde, une entité du département d’État. Dans sa longue analyse de ce rapport, Coptic Solidarity en tire les points positifs, en fait une critique constructive et suggère des développements de ce rapport pour ce qui est de la situation en Égypte. Un texte assez long mais pertinent qu’on lira avec profit et intérêt, et qui réserve quelques savoureuses surprises…
La Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale (USCIRF [United States Commission on International Religious Freedom]) a publié, le 29 avril dernier, son rapport annuel qui contient une de ses meilleures analyses à ce jour sur la situation de la liberté religieuse en Égypte. Chaque année, Coptic Solidarity procède à une recension du rapport de l’USCIRF et publie son évaluation du rapport comprenant les points d’accord, les critiques constructives et nos recommandations pour les prochains rapports. Le rapport pour 2018 de l’USCIRF contient de très nombreux problèmes soulevés par Coptic Solidarity dans ses critiques constructives et des recommandations de notre évaluation de l’année dernière.
Points positifs
• Le rapport reflète une compréhension plus nuancée de l’état de la liberté religieuse, en particulier pour les Coptes, que celle des années précédentes. C’est évident dans plusieurs parties où plus de contexte a été fourni. Un bon exemple est la manière dont le rapport traite de la nomination de Manal Awad, la première femme copte à occuper un tel poste, comme gouverneur du gouvernorat de Damiette. Le rapport signale également que Mme Awad est le seul gouverneur chrétien sur les 27 gouverneurs que compte l’Égypte. De plus, le rapport souligne l’exclusion des Coptes à toute nomination dans les secteurs de la sécurité, du renseignement ou des affaires étrangères.
• Le rapport explique en toute clarté que la violence et la discrimination perpétrées contre les Coptes et les autres minorités religieuses ne sont pas principalement le résultat de terroristes étrangers comme ceux de l’EIIL [État islamique en Irak et au Levant]… « Accuser les groupes musulmans radicaux des problèmes sectaires en Égypte, contredit cette réalité que le sectarisme social et la négligence gouvernementale jouent aussi un rôle dans les incidents de violence communautaire». C’est là une amélioration majeure par rapport à la narration du rapport de 2017, et il apporte de bonnes explications sur la culture égyptienne d’intolérance et de sectarisme à l’encontre de tous les musulmans non sunnites, et sur la complicité du gouvernement pour ce qui est de la persécution continuelle contre les Coptes et les autres minorités.
• Le rapport dénonce la lenteur d’escargot avec laquelle est appliquée la loi 80/2016 sur les églises, en signalant que seuls 783 bâtiments chrétiens – sur un nombre oscillant entre 5 515 et 5 540 ayant sollicité un enregistrement officiel –, avaient obtenu une approbation jusqu’à mars 2019. Plus important encore, le rapport souligne que sur ces bâtiments existant déjà, il n’y a eu que 8 nouvelles églises approuvées depuis le vote de la loi 80/2016.
• L’USCIRF ne recommande pas seulement d’accélérer les approbations d’églises, comme elle le fit l’année dernière, mais recommande aussi au gouvernement de lancer « un débat national visant à remplacer cette loi (la loi 80/2016) par une autre qui s’appliquerait uniformément à tous les lieux de culte, indépendamment de l’appartenance religieuse». Il s’agit là d’une recommandation de la plus haute importance car beaucoup pensaient que la loi 80/2016 améliorait la situation des chrétiens en Égypte alors qu’en fait elle institutionnalisait la discrimination contre les chrétiens et les minorités non musulmane en matière de possibilité de construire ou de restaurer leurs lieux de culte.
• Dans le rapport pour 2017 comme dans celui pour 2018, l’USCIRF souligne le problème de l’impunité pour ceux qui attaquent les Coptes, leurs maisons, leurs entreprises et leurs églises, et le retard des interventions des forces de sécurité pour protéger les victimes coptes de la violence. Il insiste également sur la manière dont les séances de réconciliation sapent le système judiciaire, et dont le résultat est pratiquement toujours que les Coptes sont obligés d’abandonner leurs droits légaux et que [ceux qui les ont agressés] échappent à toute punition. Dans le rapport, l’USCIRF exhorte le gouvernement des États-Unis à faire pression sur le gouvernement égyptien pour que soit mis immédiatement un terme à ces sessions pour résoudre « ces incidents de violence collective antichrétienne ».
• [Le rapport] améliore la recommandation sur le rôle du Congrès à encourager le gouvernement des États-Unis à se concentrer sur le signalement des progrès de l’Égypte dans la protection de la liberté religieuse, recommande au secrétariat d’État [ministère des Affaires étrangères] «de fournir des justifications au déblocage de tout financement retenu de l’aide militaire à l’Égypte», y compris la divulgation publique de ses évaluations et certifications des progrès constatés en Égypte… Cette recommandation est indispensable dès lors que le secrétaire d’État n’a cessé d’ignorer le Congrès en débloquant l’aide à l’Égypte en dérogation à la sécurité nationale, alors que le Congrès avait bloqué l’aide en raison des violations des droits de l’homme et de la liberté religieuse. Cela a eu pour conséquence que le département d’État s’est privé de la meilleure incitation pour l’Égypte à améliorer la liberté religieuse et à saper le travail du Congrès et de la société civile.
• [Le rapport] offre des informations sur les défis spécifiques qu’affrontent les femmes et les jeunes filles en Égypte, comme les taux alarmants de mutilations génitales et de harcèlements sexuels. De plus, le rapport aborde le problème récurrent des femmes et des jeunes filles coptes enlevées, mariées de force à des musulmans et converties à l’islam. Les sensitivités culturelles et la difficulté pour obtenir des informations précises en raison de la stigmatisation et de la pression qui s’exercent sur celles qui ont réussi à s’échapper, font qu’il est excessivement difficile d’obtenir des données fiables sur ce problème. L’USCIRF attire une attention très nécessaire sur ce problème que d’autres organismes gouvernementaux hésitent à aborder.
• [Le rapport] signale la complicité des imams […] dans l’incitation des foules musulmanes à la violence contre les Coptes et de la participation directe de la police à ces violences – ou, pour cette dernière, à ne pas protéger les chrétiens.
• [Le rapport] signale que, malgré l’ouverture de la cathédrale de la Nativité en janvier 20191, au moins huit églises ont été fermées cette année même par les autorités locales qui ont contrevenu à la loi égyptienne et se sont soumises à la pression de foules musulmanes. Le rapport souligne aussi que seulement huit [nouvelles églises] ont été autorisées depuis le passage de la loi 80 en 2016, ce qui est un taux d’autorisation plus bas que sous Moubarak, trois de ces autorisations ont été accordées pour des travaux d’agrandissement, et elles ne sont pas situées dans des zones qui font déjà l’expérience d’un grand manque d’églises.
• [Le rapport] signale, à bon escient, que la création par le Président al-Sissi d’une commission pour combattre le sectarisme est « une avancée globalement positive, mais qu’elle n’est pas parvenue à inclure ne serait-ce qu’un seul représentant de la communauté chrétienne du pays». Alors que certains responsables religieux ont loué cet acte, l’USCIRF situe ce développement dans son vrai contexte.
Critique constructive
• Le rapport signale des déclarations faites par le cheikh d’al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, personnellement aux commissaires de l’USCIRF et lors de l’inauguration de l’église [cathédrale] de la Nativité, déclarations qui affirment et promeuvent la liberté religieuse. Malheureusement, ces déclarations faites à des Américains en ayant en tête le public occidental, contredisent exactement le message que le cheikh al-Tayeb prêche régulièrement au public arabe musulman et qu’il enseigne à al-Azhar. Coptic Solidarity a récemment publié une étude intitulée A Glimpse Into the Mindset of Sheikh Ahmed al-Tayeb, The Grand Imam of al-Azhar2, précisément sur ce problème. Cette étude dénonce le “double langage” du cheikh al-Tayeb et son comportement trompeur. Coptic Solidarity recommande que tous les commissaires de l’USCIRF et son personnel rattaché se familiarise avec une vision plus large des déclarations du cheikh et sur ses vraies positions sur la liberté religieuses avant tout engagement futur.
• Coptic Solidarity continue à recommander que l’Égypte soit placée sur la liste CPC3 recommandée par l’USCIRF. Pour la troisième année consécutive, l’USCIRF a placé l’Égypte sur sa liste Tier 24, indiquant ainsi que l’Égypte respecte ou tolère un des trois éléments des standards concernant les violations «systématiques, permanentes ou flagrantes ». Le rapport ne précise pas quel élément ou quels éléments ont été obtenus selon lui. Rendre public cette information permettrait d’accorder plus de crédibilité aux recommandations de l’USCIRF, et cela autoriserait un dialogue solide et un engagement sur les points de désaccord. Coptic Solidarity se réjouit de tout changement positif. En fin de compte, on doit reconnaître que certains de ces changements apparemment positifs qui auraient pu conduire à enlever l’Égypte de la liste des CPC de l’USCIRF, sont purement symboliques et ne sont pas de fond.
• Le rapport ne contient pas d’information sur le nombre croissant de soldats coptes servant dans les forces armées égyptiennes, qui ont été tués dans leurs unités et dans des circonstances suspectes alors que leurs morts ont été attribuées à des suicides, occurrence très rare chez les chrétiens, ou a de brusques problèmes médicaux.
Recommandations pour les futurs rapports
• Coptic Solidarity continue à recommander qu’on ajoute une section complémentaire au rapport qui délimiterait plus clairement les incidents majeurs et chercherait à savoir quelles actions ont été prises pour poursuivre ceux qui les ont commis, et si une quelconque réparation a été accordée aux victimes. Le rapport de l’USCIRF de cette année signale quelques-uns de ces incidents ce qui est utile. Coptic Solidarity recommande que cela soit développé et que soient inclus des incidents comme le Massacre de Maspero5, les multiples attentats à la bombe contre des églises, les attaques contre des pèlerins se rendant au monastère Saint-Samuel, et les autres actions individuelles contre les Coptes et leurs biens. Cela apporterait une plus grande continuité au rapport et une responsabilité accrue pour cette culture d’impunité en Égypte.
• Coptic Solidarity recommande que l’USCIRF exige de ses commissaires qu’ils sachent faire la part entre leurs voyages personnels en Égypte et ceux qu’ils accomplissent de manière officielle et ès qualités, et tout particulièrement quand ils font des déclarations publiques. L’USCIRF est saluée pour son objectivité et sa neutralité. Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement égyptien a ciblé et invité des commissaires de confession évangélique pour les convaincre de ses discours sur la tolérance et sur ses engagements envers la liberté religieuse, ce qui est contraire à ce que l’on constate sur le terrain. La confusion entre ce qui relève du privé et ce qui relève du rôle officiel a pu être constatée quand certains commissaires ont fait ès qualités des déclarations publiques inexactes et trompeuses sur l’état de la liberté religieuse en Égypte. L’USCIRF ne devrait pas permettre que le gouvernement égyptien la manipule comme il a déjà manipulé et avec succès des dirigeants chrétiens égyptiens. Malheureusement, beaucoup dans le public ignorent le double rôle de [ces personnes]. Par conséquent, le soutien d’un commissaire est facilement et faussement pris pour une acceptation et un soutien d’une entité du gouvernement des États-Unis.
• Coptic Solidarity entend rappeler aux commissaires de l’USCIRF le sérieux de leur rôle et leur responsabilité lorsqu’ils font des déclarations avalisant la discrimination et la persécution systématiques des chrétiens en Égypte, alors qu’ils ne trouveraient pas cela acceptable comme citoyens des États-Unis. Le rôle des commissaires de l’USCIRF exige de la sagesse, de l’humilité et de l’expertise afin de soutenir la liberté religieuse pour tous, et non de simplement déterminer ce qui est un niveau acceptable de liberté religieuse pour les autres.
Source : Coptic Solidarity, déclaration du 6 mai 2019 – © CP pour la traduction.
1. La communauté copte d’Égypte fête Noël le 29ème jour du mois copte de khiahk, ce qui correspond au 7 janvier du calendrier grégorien.
2. Aperçu sur la façon de voir les choses du cheikh Ahmed al-Tayeb, étude de grand intérêt de Magdi Khalil du 24 mars 2019, qui donne, notamment, une liste détaillée des attaques persistantes contre les juifs et les chrétiens par le cheikh et rappelle son refus de ne pas considérer les djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant comme des musulmans…
3. Country of Particular Concern, pays particulièrement préoccupant en matière de droits de l’homme et de liberté religieuse.
4. Liste de niveau 2: pays dans lesquels les atteintes aux droits de l’homme et à la liberté religieuse sont moins extrêmes ou sévères que les pays classés en Tier 1. Par exemple, dans le dernier classement de l’USCIRF, la Corée du Nord et l’Arabie saoudite sont classées en Tier 1, alors que l’Égypte ou l’Inde sont classées en Tier 2.
5. Un des pires massacres de Coptes alors qu’ils manifestaient pacifiquement place Maspero au Caire, le dimanche soir 9 octobre 2011. Cette répression menée par l’armée et des bandes d’islamistes coûta la vie à au moins 27 chrétiens et en blessa plus de 300 autres.