Jean-Pierre Yalcin, porte-parole de la toute jeune Union des Assyro-Chaldéens de France, a bien voulu répondre à nos questions à la suite du communiqué de cette association a diffusé le 11 février dernier sitôt connue la décision du Président Macron de faire du 24 avril une “Journée nationale” de commémoration du génocide arménien. Cette louable initiative ne saurait pour autant oblitérer un autre génocide concomitant: celui des Assyro-Chaldéens.
Si l’on ne peut qu’approuver la décision du Président Emmanuel Macron de faire du 24 avril une “Journée nationale” de commémoration du génocide arménien, des voix se sont élevées, non pour la critiquer mais pour l’ouvrir à une autre composante des victimes du génocide perpétré par les autorités ottomanes puis turques. Est-ce le sens du communiqué que vous avez diffusé le 11 février dernier ?
Nous ne pouvons qu’approuver la décision du Président de la République de faire du 24 avril la « journée nationale » de commémoration du génocide arménien en France. Le but du courrier que nous lui avons adressé le 11 février visait à faire entendre notre voix et à rappeler qu’il ne faut pas oublier les autres peuples frappés par le premier génocide du XXe siècle. Se souvenir qu’entre 250 000 et 350 000 Assyro-Chaldéens, soit plus de la moitié de la communauté de l’époque, ont péri entre 1915 et 1918.
Si la mémoire passe par la célébration officielle de journées du souvenir, elle doit aussi s’accompagner d’une appropriation citoyenne du passé ; c’est pourquoi il nous semble impératif de sensibiliser l’opinion publique sur ce génocide.
Paul Ricœur, dans La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli, définissait la mémoire comme une « injonction à se souvenir ». Cette formule est inspirante pour considérer à notre tour la mémoire comme un devoir de justice. La France doit être au rendez-vous de l’histoire, elle doit reconnaître toutes les victimes des génocides de 1915, les Arméniens, les Assyro-Chaldéens et les Grecs pontiques.
Des chercheurs contemporains estiment que ce génocide se serait déroulé sur une trentaine d’années, qu’il aurait commencé dès 1894 et qu’en 1896 on estimait déjà le nombre d’Assyro-Chaldéens massacrés à plus de 100 000. Le massacre des Assyro-Chaldéens a-t-il commencé si tôt et êtes-vous d’accord avec ce nombre avancé ?
Une première série d’actes criminels de grande ampleur sont perpétrés dès 1894 contre les chrétiens de l’Empire ottoman comme un prélude au génocide. Aux premiers siècles de son existence, l’Empire ottoman comptait encore une majorité de chrétiens grecs, arméniens et assyriens. En Anatolie, au cœur de la Turquie actuelle, les chrétiens représentaient 30 % à 40 % de la population et jouaient un rôle majeur dans la vie de la cité. Je n’ai pas d’estimation précise concernant les Assyro-Chaldéens. En revanche, nous savons que, de 1894 à 1896, le Sultan fit massacrer 200 000 à 250 000 chrétiens. Un lourd bilan auquel il faut ajouter 100 000 réfugiés, 50 000 orphelins, 50 000 convertis de force, des villages dévastés, des églises détruites ou transformées en mosquées.
Ce que les Assyro-Chaldéens nomment Shato d’sayfo (l’année de l’épée) ou Qetlā D-’Amā Ātûrāyā (la mise à mort du peuple assyrien), aurait causé la mort de 250 000 à 350 000 personnes, selon votre communiqué. D’autres chercheurs évoquent un bilan plus lourd encore : entre 500 000 et 750 000 victimes, soit 70 % de la population de l’époque. Que pensez-vous de cette évaluation ?
Il est vrai que les chiffres diffèrent selon les historiens. Mais en dehors de cette querelle de chiffres, ce que nous savons, c’est qu’une très grande partie des Assyro-Chaldéens a péri durant ce génocide. Ils sont morts parce que chrétiens, ils sont morts car le gouvernement des « jeunes-turcs » voulait accomplir son projet d’éliminer la totalité des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l’Asie mineure, une région qu’il considérait comme le berceau du peuple turc. Ce génocide est le génocide des oubliés. Il est sans doute d’ailleurs oublié parce que 70 % des Assyro-Chaldéens sont morts à ce moment-là, emportant avec eux la mémoire de leur peuple et de ce drame.
Le Parlement arménien a reconnu le génocide des Assyro-Chaldéens et des Grecs pontiques en mars 2015. Il avait été précédé par d’autres Parlements comme celui de Suède dès mars 2010. Souhaiteriez-vous que le Parlement français fasse de même et comment comptez-vous y parvenir ?
Nous demandons officiellement au Parlement français de rouvrir le dossier concernant le génocide des Assyro-Chaldéens, nous demandons à nos parlementaires de redonner une dignité aux milliers d’oubliés assyro-chaldéens, nous demandons à la France, notre patrie, d’être au rendez-vous de l’Histoire et de rétablir la vérité et la dignité des victimes et de leurs descendants.
La France est porteuse d’espérances. Le législateur Français est un véritable gardien de la mémoire : souvenons-nous de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui a introduit en droit français le délit de négation du génocide juif.
En 2001, le Président de la République, Jacques Chirac, promulgue la loi reconnaissant le génocide arménien. Depuis 2008, plusieurs parlementaires se battent pour la pénalisation de la négation de ce génocide. Jérôme Chartier, François Pupponi et Valérie Boyer ont d’ailleurs déposé des propositions de loi à l’Assemblée Nationale en février et mars 2015 pour la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen et la pénalisation de la négation des génocides de 1915.
Enfin, cent ans après les premières exactions, le 26 avril 2015, à l’initiative de Jérôme Chartier (député UMP du Val-d’Oise et maire de Domont) et François Pupponi (député PS du Val-d’Oise et maire de Sarcelles), plus de 8 000 Assyro-Chaldéens ont participé au ravivage de la flamme du Soldat inconnu. Un premier espoir pour notre communauté, celui d’être entendue.
La question reprend aujourd’hui toute sa place sur la scène internationale. Une autre lueur d’espoir vient du pape François qui, dans son discours sur le génocide arménien, le 12 avril 2015, a également reconnu le génocide syriaque, assyrien et chaldéen.
Il y a encore beaucoup à faire. Depuis quelques années, des tentatives vont dans ce sens à l’ONU et au Parlement européen. Le parlement hollandais a adopté en 2015 une résolution qui reconnaît le génocide assyro-chaldéen, arménien et grec. La même année, l’Arménie a reconnu le génocide assyro-chaldéen. La Suède l’ayant reconnu quant à elle en 2010.
Aujourd’hui de nombreux parlementaires de l’Assemblée et du Sénat soutiennent notre combat pour la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen. Le sort des chrétiens d’Orient dans la guerre en Syrie ravive les plaies et nous montre qu’il est impératif de travailler à cette reconnaissance.
Nous allons continuer notre travail et nos efforts et ce jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État. Dans notre courrier du 11 février 2019 nous avons d’ailleurs invité le Président de la République à rencontrer notre communauté.