De nombreux articles parus récemment dans la presse internationale, indiquaient que 984 lieux de culte chrétiens avaient reçu l’autorisation d’être restaurés ou construits en Égypte depuis trois ans. Cette information est un peu l’arbre qui cache la forêt, car entre 5 515 et 5 540¹ autres attendent toujours que leurs demandes soient satisfaites… La situation est donc très loin d’être satisfaisante. Dans un article très détaillé publié par Coptic Solidarity, Ishak Ibrahim du Tahir Institute for Middle East Policy, revient sur la réalité. Elle est tout autre que ce que la presse indique ou ce que l’État égyptien entend faire croire.
La Loi sur la construction des églises de 2016, votée en Égypte, établissait, à première vue, un processus simplifié pour la construction des églises et instituait une commission pour régulariser les églises qui avaient été construites illégalement.
Mais les chrétiens continuent à affronter des difficultés, tant officielles que sociales, car les responsables gouvernementaux ont été lents à accorder des autorisations (y compris aux églises déjà construites et attendant leur reconnaissance), les agences de sécurité n’ont pas protégé les églises et les propriétés des Coptes tandis que la violence des voisinages a réussi à interdire la création d’églises dans des zones contestées. Le 30 avril dernier, la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale a fait paraître son rapport annuel sur la liberté religieuse dans le monde.
L’Égypte y est désignée comme un pays Tier 2², comme elle l’était déjà dans le rapport de l’année précédente, et le rapport a souligné les problèmes liés à la construction des églises et à leur sécurité : « Ni les approbations [d’églises ayant déposé une demande] ni les autres bâtiments ayant déposé une demande et pas davantage l’existence d’église [déjà construites sans autorisation] n’ont changé quoi que ce soit aux politiques inéquitables du pays concernant les lieux de culte. »
De même, dans son rapport annuel sur la liberté religieuse de 2018, le département d’État déclarait : « Les défenseurs de la liberté religieuse et des droits de l’homme ont déclaré que, parfois, les responsables gouvernementaux n’accordaient pas de protections procédurales et les garanties d’une procédure équitable aux membres des religions minoritaires, allant même jusqu’à fermer des églises en violation de la Loi de 2016 sur la construction des églises. »
Alors que le rapport ne couvre, principalement, que les faits et les tendances de l’année 2018, les problèmes sont persistants et ont continué en 2019. Rien que pour le mois de mai 2019, trois églises ont été fermées en Égypte après que des foules eurent manifesté et scandé avec colère contre la présence d’églises et de chrétiens dans leurs communautés. Les responsables gouvernementaux locaux ont fermé les trois églises.
Il y a beaucoup de villages ruraux – plusieurs centaines selon certaines estimations – qui ne disposent d’aucune église, particulièrement en Haute-Égypte et [dans le gouvernorat du] Caire.
Dans une interview, Mgr Macarios, évêque de Minya et d’Abou Qarqas, a déclaré que son diocèse comportait 150 villages et leurs alentours qui avaient besoin d’une église ou d’un bâtiment religieux. Les Coptes ont à se déplacer vers un village voisin qui dispose d’une église bien qu’elle ne puisse pas être assez grande pour les accueillir et qu’il y a des cas où les musulmans d’un village interdisent à des chrétiens non locaux d’y assister à des services religieux.
Parfois, l’État a procédé à la fermeture d’églises précédemment ouvertes, les services de sécurité arguant qu’elles constituaient un danger tant pour les chrétiens que pour la paix civile.
Après le vote de la Loi sur la construction d’églises, [les chrétiens] qui se rassemblaient dans leurs maisons ont tenté de construire leurs propres églises, mais leurs voisins musulmans ont contesté les caractéristiques architecturales trop évidentes de ces églises : clochers, dômes, croix et le reste. Malgré une approbation légale et même des décisions de justice en leur faveur, les autorités locales ont bloqué la construction, la rénovation ou la restauration de ces églises.
Le Journal officiel – le recueil des lois et des décrets du gouvernement égyptien – n’a publié aucune décision officielle sur la construction de nouvelles églises en Égypte comme nous l’ont confirmé un grand nombre de membres du clergé dans des discussions privées.
Et ceci, malgré le fait qu’un grand nombre de représentants légaux de l’Église copte orthodoxe ait fait des demandes pour l’établissement d’églises dans les zones où vivent des chrétiens mais où on ne compte aucune église.
En théorie, ces demandes n’exigent que l’approbation du gouverneur local après qu’ont été satisfaites toutes les démarches administratives nécessaires. Les autorités, au contraire, ont généralement ignoré ces demandes, déclinant de les rejeter ou de les approuver, et ceci malgré la loi de 2016 qui fait obligation aux gouverneurs de répondre dans les quatre mois et de fournir les raisons en cas de refus (article 5).
Ce problème a été exposé par les prêtres du diocèse de Samalut dans le nord du gouvernorat de Minya, dans une lettre adressée au ministre de l’Intérieur le 19 janvier 2019. Les prêtres s’y plaignaient des difficultés à célébrer le culte et de la fermeture de nombreuses églises depuis 2016. Ils s’en sont ouverts aux autorités compétentes du gouvernorat de Minya. Ils attendent toujours une réponse à leurs suppliques de la part du gouvernement local et des autorités du Caire.
Les institutions de l’État ont accordé des autorisations de construction d’églises dans les villes nouvelles après attribution de terrain du ministère du Logement.
Le Président Abdel-Fattah al-Sisi a ordonné aux fonctionnaires d’attribuer des terrains pour la création d’églises dans les villes nouvelles, y compris pour la cathédrale de la Nativité située dans la nouvelle capitale administrative. Bien que l’allocation de terrains pour des églises dans les villes nouvelles soit une chose importante, elle demeure une avancée limitée et relève plus d’une opération de relation publique. Les institutions étatiques ne protègent pas le droit des citoyens à édifier des lieux de culte proches de leurs lieux de résidence, alors que des églises éclosent en plein désert sur les sites de villes en projet mais vides. La majorité des chrétiens, de même que les musulmans des zones rurales, ne dispose pas des moyens financiers pour acquérir des résidences dans la capitale administrative et dans les autres nouvelles villes. […]
Depuis le vote de la Loi, l’Initiative égyptienne pour les droits de l’individu a documenté 32 cas de violence sectaire liés à la pratique de la religion chrétienne.
Certains de ces cas ont abouti à la fermeture d’églises existantes, certains ont affecté des projets d’églises en vue de leur enregistrement, d’autres, enfin, ont bloqué toute construction de nouvelles églises. Ces incidents se sont passés dans neuf gouvernorats mais se sont concentrés dans ceux de Minya, de Beni Suef et de Sohag.
Sur ces 32 incidents, 26 ont abouti à la fermeture des églises où pourtant le culte avait débuté : 22 sont fermées définitivement mais 4 ont pu rouvrir : 2 églises ont suspendu leur construction qui n’a pas repris, et seulement dans 2 cas sur 32 on a pu continuer comme si de rien n’était.
Le cheikh de Al-Azhar a parlé à plusieurs reprises de la protection accordée en islam aux chrétiens et aux juifs pour construire leurs lieux de culte.
La section du droit religieux (Dar al-Ifta) du ministère de la Justice a publié plusieurs fatwas déclarant qu’aucun texte légal n’interdit la construction de lieux de culte dans les pays musulmans, mais l’ambiance salafiste actuelle joue un rôle dans le refus qui s’accroît de l’existence d’églises dans certains villages ou de les enregistrer.
Un imam, Kom Lotfy, travaillant près de la ville de Samalut dans le gouvernorat de Minya, avait déclaré en 2016 dans le quotidien Al Ahram suite à un incident au cours duquel des maisons de Coptes avaient été brûlées, que la violence était justifiée puisqu’il n’y avait pas eu d’église dans le village depuis les années 1980.
Des gens refusent l’existence d’une église pour des raisons culturelles et sociales, par crainte d’une modification de l’influence hiérarchique dans les communautés rurales. Certains considèrent que les chrétiens ne sont pas égaux aux musulmans.
Comme les églises coptes orthodoxes, coptes catholiques et protestantes ont accru leur développement, leurs services culturels et d’assistance, des gens sur place craignent une croissance de l’importance des églises. Si les organismes d’État se sont exprimés (de manière incohérente) en faveur du droit des chrétiens de construire des églises et de tenir des cultes, les services de sécurité n’ont pas agi pour protéger ces droits, quant aux politiciens ils n’en font pas habituellement un problème prioritaire.
Près de trois ans après le vote de la Loi sur la construction d’églises, l’écart ne s’est ni comblé ni réduit entre, d’une part, le discours officiel sur la bonne disposition de l’État envers les droits des citoyens et la garantie des libertés religieuses pour tous et, d’autre part, les vraies politiques et pratiques sur le terrain. Les citoyens chrétiens continuent à devoir faire face à une opiniâtreté évidente pour ce qui est de leur pratique religieuse et de la légalisation des églises existantes. La loi n’a pas réussi à résoudre ou à améliorer l’impasse de longue date où se trouvent les Coptes.
Outre ses autres défauts, la loi repose sur l’hypothèse erronée que les rites de la religion chrétienne doivent être pratiqués dans une église, ce qui permet un amalgame entre réunion de prière ou célébration religieuse dans un espace public ou privé avec prière ou culte dans un lieu consacré à cela.
Il y a une distinction entre la pratique de rites religieux – un droit garanti à tout citoyen en tant que personne ou appartenant à un groupe, droit qui peut être exercé partout – et la construction de lieux de culte ou d’églises qui est réglementée par la loi. Le droit des individus et des groupes de célébrer et d’observance des fêtes religieuses, ne devrait pas être réduit au motif que le lieu de la célébration n’est pas un lieu de culte. La liberté de se rassembler pour des raisons religieuses dans des maisons, dans l’espace public et sans autorisation, doit être garantie. À part les problèmes théoriques, ce point de vue rend tout rassemblement chrétien dans un village vulnérable à la protestation ou à une agression au motif que ce rassemblement aboutira à sa conversion dans une église.
La poursuite de la loi actuelle ne fera qu’augmenter les tensions sectaires, tout spécialement après que la commission pour la régularisation des églises commencera à mener ses inspections pour légaliser les églises non autorisées. Si l’Égypte veut vraiment garantir la liberté religieuse, elle ne devrait réglementer que la construction des lieux de culte dans le cadre des procédures générales pour la construction de bâtiments, sans loi spéciale réglementant le droit de pratiquer ses rites religieux ou, au minimum, faire une loi générale réglementant la construction de lieux de culte pour toutes les religions.
Simultanément, le Comité de réconciliation de l’Église émettra une décision unique approuvant l’autorisation de toutes les demandes d’églises qui lui seront soumises indépendamment de savoir si toutes les conditions ont été satisfaites.
Source : Coptic Solidarity, 3 juillet 2019 – © CP pour la traduction.
1. Voyez notre article « Coptic Solidarity critique le dernier rapport de l’USCIRF », Chrétiens Persécutés, n° 4 (mai 2019).
2. Liste de niveau 2 : pays dans lesquels les atteintes aux droits de l’homme et à la liberté religieuse sont moins sévères que les pays classés Tier 1 (Corée du Nord et Arabie saoudite, par exemple)..