Le Père Bernardo Cervellera est le rédacteur en chef d’AsiaNews, agence officielle de l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME) de l’Église catholique. Il a fait paraître récemment, un article critique dans lequel, une fois de plus, il met en garde sur le double langage des communistes chinois, sur les deux interprétations contradictoires que le Saint-Siège et le Parti communiste chinois ont de l’accord qu’ils ont signé, et sur le processus « d’étouffement » en cours de l’Église en Chine par les communistes. Les arguments sont innombrables autant qu’imparables…
Alors que des articles enthousiastes sont diffusés sur la « toute première » exposition des trésors du Vatican à Pékin – elle s’est achevée le 7 juillet dernier – ou encore sur la « toute première » conférence sur le pape François à se tenir à l’Université de Pékin, AsiaNews continue à recevoir des informations montrant le lent mais inexorable étouffement de l’Église en Chine, qu’elle soit souterraine ou officielle. La force motrice derrière cet étouffement, c’est le mot « indépendance » devant lequel évêques et prêtres doivent s’incliner et auquel même les souterrains doivent se soumettre s’ils souhaitent exercer leur ministère.
Le gouvernement chinois considère « l’indépendance » comme un rejet de l’influence des « puissances étrangères », ce qui inclut le Saint-Siège (ou, comme il dit : le Vatican), et la soumission aux règlements de l’État, même si les ordres donnés sont contraires à l’Évangile.
Ainsi, prêtres et évêques, officiels ou souterrains se trouvent coupés de l’Église catholique universelle et enchaînés au wagon du Parti qui, tout en lui accordant un minimum de liberté de culte (mais contrôlée !), leur retire tout élan d’évangélisation.
Un exemple saisissant nous est fourni dans un document qui nous a été envoyé de la province du Fujian. Il est intitulé « Lettre d’engagement pour les responsables de lieux de culte et pour les personnes consacrées ». Le prêtre ne peut être pasteur et exercer son ministère, dans les limites indiquées, que s’il signe ce document ; à défaut, il ne pourra exercer aucune fonction et sera renvoyé chez lui. Il en va de même pour les religieuses, les « personnes consacrées » (le gouvernement chinois n’autorise pas la vie religieuse pour les hommes).
Parmi ces demandes surpenantes, on trouve ceci :
- Accepter le fait qu’on doit « interdire l’entrée de mineurs dans une église », et « ne pas organiser de cours de formation pour les mineurs ». Comment la conscience d’un prêtre peut obéir à un tel ordre demeure un mystère. Dans l’Évangile, Jésus dit à ses disciples : « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi » (Mt 19, 14). De plus, cet ordre est contraire à la Constitution chinoise qui garantit la liberté religieuse sans condition d’âge.
- Au nom de l’indépendance « boycotter scrupuleusement toute intervention d’étrangers ; ne pas prendre contact avec des puissances étrangères ; ne pas accueillir d’étrangers ; ne pas accepter d’accorder des entretiens ou d’invitations à donner des conférences à l’étranger ». Pratiquement, cela revient à demeurer isolé et à ne pas pouvoir partager sa foi avec les autres catholiques répandus de par le monde. Cela contrevient aux Conventions des États-Unis sur la liberté religieuse et les droits civils que Pékin aussi a signées le 5 octobre 1988, mais qui n’ont jamais été ratifiées.
- Une série de limites à l’évangélisation : ne pas chanter sans permission ; aucun affichage – pas même à la maison ! – « de manifestes ou d’emblèmes » ayant « un contenu évangélique » ; interdiction de mettre en ligne des articles à contenu religieux…
Ce qui se passe dans le Fujian, se passe aussi dans le Henan, le Hubei et le Zhejiang. C’est précisément à cause de cette pression sur « l’indépendance » – ce qui constitue un anéantissement sous contrôle de l’Association patriotique [des catholiques chinois], que Mgr Gui Xijin, évêque auxiliaire de Mindong, a retiré sa demande de reconnaissance par le gouvernement : être ainsi reconnu veut dire assassiner l’Église.
Tout ceci se déroule alors que l’accord entre la Chine et le Vatican est applaudi en Italie et en Chine, et que, selon toute apparence, cela gagne de nouveaux terrains. Le Global Times (19 juin 2019), un quotidien [de langue anglaise] lié à l’organe officiel du Parti communiste chinois, exalte de fait que, « pour la première fois », les Musées du Vatican ont montré des objets lors d’une exposition qui s’est tenue à Pékin et qui a duré jusqu’au 7 juillet. En outre, et pour « la première fois », une conférence a été prononcée sur le thème « le pape François et sa vision » par le jésuite Benoît Vermander, à l’Université de Pékin, à laquelle ont assisté 40 personnes. Pour la « première fois », une conférence a été donnée à l’Académie des sciences sociales de la capitale chinoise sur le thème « Grandir en amitié – Une perspective sur les relations sino-vaticanes », par le jésuite Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica.
Il semblerait que la Chine envisage les relations avec le Vatican et son contrôle de l’Église comme progressant sur deux voies parallèles, l’une n’ayant que peu à voir avec l’autre. Il est possible d’applaudir « l’amitié avec le pape François » et en même temps d’étouffer et d’éliminer l’Église locale, « indépendante » du Vatican, par une mort lente de cette proie des règlements chinois.
Source : AsiaNews, 25 juin 2019 – © CP pour la traduction.