Claire Weibel Yacoub, née en Alsace en 1963, s’intéresse depuis longtemps aux Assyro-Chaldéens auxquels elle a consacré plusieurs ouvrages. Son dernier livre, publié en juin 2019 aux Éditions de l’Harmattan, est un travail à la fois surprenant par son thème et impressionnant d’érudition. Il montre que l’intérêt de la presse française pour le sort des Assyro-Chaldéens ne remonte pas à leurs récentes épreuves… Nous avons traduit, à votre intention, une fort savante recension qu’en a faite Abdulmesih BarAbraham, excellent connaisseur des Assyriens et auteur de plusieurs études sur eux, qui vit et travaille en Allemagne.
Un nouveau livre intitulé La France et les Assyro-Chaldéens. Qu’en dit la presse ?, vient d’être publié par Claire Weibel Yacoub, une historienne française déjà auteur de trois livres sur les Assyriens.
L’introduction du livre s’ouvre par un titre hardi : Retour sur scène des Assyro-Chaldéens. Sur la scène française au moins et sous la forme d’une ample revue de presse historique que l’auteur retrace méticuleusement et de manière universitaire sur deux siècles.
En raison de la menace existentielle qu’ont affrontée les Assyriens depuis le Première Guerre mondiale, Mme Weibel Yacoub se demande ce que le peuple français pouvait bien savoir des Assyro-Chaldéens à partir de la presse française ? Comparés aux Arméniens avec lesquels l’opinion publique française est plus familiarisée, les Assyro-Chaldéens semblent moins visibles. Le livre est structuré en sept chapitres, chacun d’eux traitant d’une phase historique importante de l’histoire assyrienne moderne au Moyen-Orient, et de la manière dont elle a été traitée dans la presse française.
Le premier chapitre traite de l’intérêt grandissant de la France pour les Églises d’Orient et de son rôle protecteur pour les catholiques pendant l’Empire ottoman. Un court chapitre II réfléchit sur les découvertes archéologiques des anciennes cultures de Mésopotamie, et de leur impact sur l’identité des Assyro-Chaldéens, peuple autochtone de la région. Le chapitre III analyse la manière dont la presse a traité des Assyro-Chaldéens avant la Première Guerre mondiale, notamment des Massacres d’Adana de 1909 et des différentes interventions françaises auprès de la Sublime Porte ottomane. Le chapitre IV est consacré à la manière dont la presse a couvert la tragédie des Assyro-Chaldéens lors de la Première Guerre mondiale et du génocide en Perse et en Turquie entre 1915 et 1918. Le chapitre V fait des développements sur la couverture de presse en relation avec la Conférence de paix de l’après-guerre. Une sous-section traite des différentes délégations nationales assyriennes de Turquie, des États-Unis, de Perse et du Caucase qui furent envoyées à cette conférence, où l’on trouve des personnalités et des prélats éminents, tel l’évêque orthodoxe Ephrem Barsaum qui devint par la suite patriarche. Ce chapitre se poursuit avec la couverture du Traité de Sèvres où les Assyro-Chaldéens obtinrent leur première reconnaissance internationale en tant que nation. Le chapitre VI couvre la période postérieure au Traité de Lausanne et souligne la manière dont les Assyriens devinrent des réfugiés, la question de Mossoul et le massacre de Simelé d’août 1933 en Irak. Une sous-section traite de la manière dont la presse a couvert la réinstallation des réfugiés de la province de Hakkari [Turquie] dans la région de la Khabour en Syrie, et de la formation d’un Bataillon assyro-chaldéen. Enfin, un bref chapitre VII traite de l’époque du mandat français en Syrie. Des observations finales et une bibliographie terminent de livre de 198 pages.
La presse française a, de fait, parlé des chrétiens assyriens pendant des centaines d’années, usant de désignations variables, mais surtout à la fin du XIXe siècle et ultérieurement. Même si parfois des désignations religieuses comme catholiques « chaldéens », catholiques « syriaques », « Jacobites » ou « Nestoriens » furent utilisées, au fil du temps l’expression « Assyro-Chaldéens » fut aussi adoptée.
Très tôt, dans des journaux comme le Journal des débats politiques et littéraires, on présenta la situation des Assyriens en publiant des articles de voyageurs et d’archéologues qui avaient parcouru toute la Mésopotamie et les territoires montagneux situés à la frontière entre la Turquie et la Perse. Ce sont là les premières traces journalistiques. Au début du XIXe siècle, le grand explorateur britannique Claudius James Rich (1787-1821) partit les rencontrer dans les villages du nord-est de ce qui est aujourd’hui l’Irak et « suscité de l’attention sur les Nestoriens, les Arméniens et les Chaldéens, taillés dans le roc des plus hautes montagnes, jusque-là ignorés en Europe ». Il entreprit aussi l’étude du site de Babylone, ce qui est considéré comme le point de départ des explorations de l’ancienne Mésopotamie.
Ce même journal se fit l’écho des fréquents événements tragiques impliquant des responsables kurdes qui harcelaient sans répit les Assyro-Chaldéens dans le but de les éliminer physiquement de leurs villages des contreforts comme ce fut le cas en 1843 et 1847 lorsque l’infâme chef kurde Badr Kahn, gouverneur de Djézireh, les réprima avec férocité. L’article de presse qui en traite précise : « beaucoup de villages des Chaldéens et des Jacobites gémissent sous son oppression ».
Avec ses archéologues, la France la France a participé aux fouilles menées entre le Tigre et l’Euphrate. L’univers enterré de Ninive et de Babylone refit surface. La presse contribua à cette renaissance quand le Musée du Louvre exposa ces découvertes en 1847 et lorsque l’Opéra de Paris les mit en scène en 1860 en reconstruisant le « monde de pierre miraculeusement découvert dans les plaines de Nimroud et de Khorsabad ». Un considérable travail linguistique, archéologie et anthropologique s’ensuivit et il eut son influence sur les Assyro-Chaldéens, héritiers de cette ancienne civilisation. Un mouvement de renaissance culturelle engage alors les différentes confessions, Nestoriens, Chaldéens ou Jacobites, désormais pourvues d’un nouveau et fort sentiment d’appartenir à un même peuple.
Longtemps avant la guerre, la France maintenait des liens privilégiés avec les Églises catholiques orientales. Au cours du XIXe siècle, l’attention portée à ces chrétiens s’accentua. Pour les Assyro-Chaldéens, cette attention particulière se manifesta dans les initiatives diplomatiques que la France prit à destination de l’Empire ottoman ou par l’attribution de reconnaissances honorifiques de l’État français et de ses institutions conférées à des personnalités orientales.
Au cours de la Première guerre mondiale, la presse française signala que les Arméniens n’étaient pas les seules victimes du génocide mais que les Assyro-Chaldéens le furent aussi. En envoyant des reporters et en disséminant ces informations dans la presse, cela amplifia le débat autour de ces questions. En 1916, par exemple le Journal envoya son correspondant Henry Barby [1876-1935] à Erzurum [ou Erzéroum, en Turquie]. Dans un article publié le 21 juin, il dressa un tableau détaillé des massacres qui venaient tout juste d’être commis dans l’Empire ottoman, rapportant les massacres des Arméniens mais donnant aussi un compte rendu précis sur les Assyro-Chaldéens persécutés dans les régions de Djézireh, de Séert et de Tur Abdin.
Comme différentes délégations nationales assyriennes vinrent à Paris pour la Conférence de paix qui commença en 1919, le terme Assyro-Chaldéens soutenu par la France monta en puissance et fut inclus dans le traité international de Sèvres signé le 10 août 1920. La presse française rend compte, quoiqu’à des degrés divers, de l’effondrement du rêve d’autodétermination des Assyro-Chaldéens dans le cadre du Traité de Lausanne. De même, beaucoup de journaux relatèrent un autre incident tragique, celui d’août 1933 où des Assyriens furent massacrés en Irak.
Claire Weibel Yacoub insiste sur le fait que la visibilité donnée aux Assyro-Chaldéens depuis 1820, est fortement liée à l’émergence de la liberté de la presse. Elle consacre des développements à l’évolution de la presse et à l’émergence de différentes agences de presse et de différents journaux qu’elle utilise comme sources principales.
Avec ce live fruit d’une considérable recherche, l’auteur prouve non seulement sa connaissance de la chronologie de l’histoire des Assyro-Chaldéens, mais elle manifeste une expertise approfondie en historiographie. Le livre contient quelque 400 références, la plupart inconnues jusqu’à présent, et il constitue une énorme ressource pour la recherche universitaire ciblée et à venir sur les différents épisodes historiques traités.
Ce livre offre une excellente documentation pour les universitaires comme pour les non universitaires intéressés par l’histoire assyrienne.
Source : Assyrian International News Agency, 3 juillet 2019 – © CP pour la traduction.